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Marc Morin : « Repenser le politique pour faire revivre l'entreprise »

  • netlab64
  • 18 nov. 2014
  • 5 min de lecture

Économiste et sociologue des organisations, ancien chercheur à l’IRES, Responsable de la 3ème année Audit et Management des RH à l’ISC de Paris, Marc Morin* a depuis 30 ans une activité à la fois économique et sociale. Ses nombreuses analyses économico-politiques lui permettent de porter un regard juste et très acéré sur l’entreprise en général, et les relations sociales en particulier. Rencontre.








Vous avez analysé l’affaire Cahuzac. Quelles sont vos principales conclusions ?


Elles sont multiples. D’une part, celle-ci participe à approfondir le désaveu par les citoyens de base d’une partie de la classe politique française. Une récente étude du CEVIPOF, qui indique que 83% des Français estiment que les hommes politiques ne s’intéressent pas aux sujets qui les préoccupent, le confirme. Cette défiance épargne toutefois les structures politiques de proximité comme les mairies et les conseils généraux. Preuve que les Français ne rejettent pas « la » politique, mais une « certaine » politique. Déjà visible il y a plus d’une dizaine d’années aux États-Unis, ce phénomène montre également que, dans leurs rapports à la base, les structures politiques d’« en haut » développent avec les citoyens d’« en bas » des relations de plus en plus médiatisées par des formes de « marketing spectacle » bien mises en évidence par R. G. Schwartzenberg dans son ouvrage justement intitulé « L’État spectacle ». Ce faisant, une sorte de cercle vicieux s’installe. La théâtralité politique éloigne de plus en plus les instances concernées de leurs électorats respectifs qui, devenant du même coup de plus en plus volatiles et abstentionnistes...



Cette crise de confiance se répercute-t-elle dans l’entreprise ?


Incontestablement. Le baromètre Ipsos 2013 indique que beaucoup de salariés prennent leurs distances à l’égard du management et de la gouvernance de leurs entreprises. Certains d’entre eux quitteraient d’ailleurs bien leur organisation sans les risques du chômage. Le titre de la dernière note de conjoncture sociale d’« Entreprise et Personnel », intitulée « résignation rageuse », plante parfaitement le décor.Les salariés éprouvent de plus en plus de difficultés, dans l’ensemble, à négocier des augmentations salariales dégageant des gains de pouvoir d’achat. Les conditions de travail évoluent de telle sorte que, dans nombre de cas, on leur demande de faire plus, mieux et plus vite mais avec moins de moyens.Pour les psychosociologues, de D. Linhart à A. De Gaulejac, la défiance et le stress se nourrissent aussi de la montée d’injonctions paradoxales qui, émanant de hiérarchies dont certaines en restent à des formes de supervision néotayloriennes, rappellent que le fait d’essayer de mieux faire peut s’accompagner de risques de licenciement et de déclassement.


Le spectre de la révolte passive...


Et pourtant, paradoxalement, le nombre de journées chômées pour fait de grève diminue ?


Oui, mais il ne faudrait pas en conclure trop vite que les tensions sociales ont disparu de l’entreprise ! Et si cette conflictualité n’avait que muté ? Du refus des heures supplémentaires au présentéisme passif, de l’absentéisme aux pannes d’attention portée au travail qui multiplient les coûts d’exploitation par la baisse de la qualité, augmentent les taux de rebuts qui grèvent les services après-vente et génèrent autant de coûts cachés dans la firme...



Comment voyez-vous l’avenir dans ces organisations ?


Si rien ne change, les années à venir seront probablement celles dans d’une multiplication de ce que l’on pourrait appeler des conflits « diffus et protéiformes » dans les entreprises. Lesquels, sans que les salariés ne prennent le risque de la grève totale, et plus généralement du militantisme syndical actif, désorganiseront en silence les productions de l’intérieur. La note de conjoncture sociale précitée remarque que cette défiance à l’égard des directions d’entreprise, dans des contextes d’atomisation des mécontentements, ne trouve pas les moyens de se fédérer pour se développer. Les mouvements sociaux peuvent cependant être complexes à détecter : rappelons qu’à la veille de mai 1968, plusieurs commentateurs pensaient que tout était tranquille.


Des RH pris entre le marteau et l’enclume


Dans un tel contexte, quelle est la position du DRH ?


Il est pris entre le marteau et l’enclume. D’un côté, les DRH doivent satisfaire aux exigences des directions qui, rappelons-le, sont souvent placées sous la pression de la sphère financière. De l’autre, les DG leurs demandent de partir à la rencontre des salariés pour sonder les attentes sur le terrain, et essayer d’inventer des cultures de proximité. Par ailleurs, l’environnement politico-économique et institutionnel est passablement bouché du fait des politiques de convergence adoptées par l’Union européenne : celles-ci ne profitent manifestement qu’aux très grands groupes et au capital financier.



Que peut-il mettre en oeuvre ?


Si les DRH veulent reconstruire dans la firme des contrats sociaux, ils n’ont à mon sens d’autre choix que de jouer la carte du management de proximité. Les hiérarchies sont encore trop souvent marquées de pratiques néo tayloriennes qui s’enracinent en France dans des logiques de rang au sens de P. d’Iribarne. L’’information y fait trop souvent l’objet de pratiques de rétention, l’individualisation et la mise en compétition des salariés se pratiquent sans une comptabilité des dégâts humains et sociaux occasionnés… Ce n’est pas un hasard si les DG de grandes sociétés demandent à leurs DRH d’ouvrir la porte de leurs bureaux aux salariés, d’éviter d’agir par personnes interposées, de se déplacer pour régler certains problèmes, de prendre garde à la formation au management des étages hiérarchiques... Je serais tenté aussi de leur conseiller de recourir à cette vieille idée de la participation aux décisions, du dialogue social et des pratiques de négociation qui reconnaissent aux autres le droit de peser sur des décisions qui les concernent.



Si le DRH peut agir dans son entreprise, quel peut - doit - être le rôle du politique ?


Les vraies solutions sont certainement d’ordre politique. Nul doute que les salariés reprendraient confiance dans leurs directions si l’antienne politique n’était pas la rigueur à tous les étages, des salaires aux impôts, des retraites aux allocations familiales. Parions que le climat social s’améliorerait si le citoyen de base ne voyait pas partir quelques grands dirigeants dotés de paquets d’actions et de parachutes dorés... Sans parler du spectacle de ceux qui veulent bien que les autres paient leurs impôts, mais qui sont pris de phobie administrative lorsqu’il s’agit de s’acquitter des leurs !


Propos recueillis par Frédérique Guénot



* Marc Morin est intervenu en juillet 2014 au congrès de l’Association Française d’Économie Politique « Démocratie et monnaie unique » (« Pour une économie politique institutionnelle de la politique économique européenne de convergence : analyse de la construction de la convention de légitimation et du compromis institutionnalisé de la monnaie unique », in « Économie politique et démocratie », ENS Cachan, 2 - 4 juillet).

Il est également organisateur et animateur de la Table ronde « L’avenir des négociations collectives » qui s’est déroulée le juin 2014 à l’Université Paris Descartes

 
 
 

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